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La harpe du driseoc
12 décembre 2009

* Il était une fois ... (chapitre 8/15)

Texte_Brea

 

 

Autant Donnos est remuant, autant Uinda est calme. Autant elle est rieuse, autant il est boudeur. Plus petits, les jumeaux ne se quittaient jamais, mais à présent, ils doivent apprendre, l'un et l'autre, tout ce qu'ils devront savoir plus tard, et bien souvent, ils ne peuvent pas rester ensemble. C'est quand ils sont séparés que cela se remarque vraiment. Lui devient sombre, silencieux, parfois même colérique. Elle s'égare dans des rêveries béates dont on a bien du mal à la tirer.

Ils n'ont que cinq ans. Ca n'est pas bien grave. La seule qui s'en inquiète vraiment, c'est leur grand-mère, et elle accuse la trop grande douceur de leur mère de les mener à pousser comme herbes folles. Habituellement, cette bonne matrone qui a élevé une dizaine d'enfants tous solides et réputés en ceci ou cela, est tout de suite suivie de la moitié du clan dans ce qu'elle dit ou fait, mais là, il s'agit d'Abona. Personne dans le camp n'a envie de critiquer la magicienne. Bréa, encore moins que quiconque, ne dit rien. Il a beau être considéré comme un héros, un homme d'exception, il n'a aucune envie de se mettre sa mère à dos, surtout quand sa femme s'apprête à lui donner un troisième enfant et quand celle de l'oncle, sa deuxième mère, qui avait si bien le don de soigner, elle aussi, est morte l'hiver dernier.

Depuis peu, Donnos est passé en charge d'aider à surveiller les bêtes à laine. Bréa n'avait pas fait ça aussi petit, mais l'oncle a insisté. Il a même insisté beaucoup, à tel point que Bréa se demande ce que ça cache. Donnos est plus grand, plus fort, plus vigoureux que les autres garçons de son âge. Uinda aussi, est plus solide que les autres petites filles. On peut et on doit les traiter comme s'ils avaient un an de plus. Là encore, Bréa n'a rien dit. Il a seulement regardé le fils de Culantos, qui a déjà huit ans et à qui on ne peut pas confier même un bol de lait sans qu'il le renverse. Culantos a un autre fils, qui sera bientôt un homme, mais qui ne sait que jouer des vilains tours et guère se rendre utile. Et puis, il a quatre filles, dont la plus jeune est encore au sein de sa mère. Quand à Caille, l'autre cousin de Bréa, c'est bien simple: ni sa femme ni aucune des servantes qu'il a sous sa tente ne lui ont donné le moindre enfant. L'oncle, qui vieillit de plus en plus et ne quitte plus sa couche que porté par les bras solides de ses fils, qui viennent, tous les matins, s'il fait beau, l'aider à venir s'asseoir dehors, ne manque pas de les accabler de reproches l'un et l'autre.

Quand Donnos passe, avec son bâton pour aller garder les chèvres, on le regarde comme le fils du chef. Il ne l'est pourtant pas. Bréa voit bien que son ténébreux petit garçon se rengorge. Il se rend bien compte que, rien que pour cet instant de gloire quand il traverse le camp, le garçonnet serait prêt à aller défier tous les monstres dont parlent les histoires de sa grand-mère, lui qui, pourtant, n'est vraiment bien qu'auprès de sa jumelle.

Cette année, on n'a pas changé de pâturage, ni l'an passé. Donnos et Uinda ont demandé, voilà quelques temps, si c'était là, le pays dont leur grand-mère leur parle. Bréa a dit que non. Voilà longtemps qu'il a compris que cette histoire, sa mère la raconte aux enfants du clan pour les faire tenir sages quand on démonte le camp et éviter qu'ils se plaignent trop pendant le voyage. Il y aura toujours un autre pâturage à chercher pour les chevaux, et c'est très bien ainsi.

Voilà longtemps, aussi, que Bréa sait pourquoi l'oncle a voulu aller si loin sans jamais revenir en arrière. C'est à cause de Culantos. Quand il a enlevée à un autre clan celle dont il a fait sa femme, il a agit avec traitrise et il a tué plusieurs personnes. C'était un clan puissant. La famille où il a pris sa femme était très importante. Il y a eu deux expéditions contre leur clan à eux, après quoi l'oncle a décidé de fuir. Tout cela, Bréa l'a compris, mais il n'a jamais bien compris, par contre, pourquoi son père était parti aussi. Pour rester près de sa soeur et veiller sur elle, peut-être ? Ou bien parce que c'était lui qui avait enseigné à Caille et Culantos tout ce qu'un homme doit savoir ?

Bréa, lui, c'est l'oncle qui lui a enseigné, et comme petit à petit, pas mal de tentes se sont groupées autour des leurs, l'oncle est maintenant le chef d'un clan assez considérable qui doit, quand il prend possession d'un pâturage, de diviser en six petits groupes. C'est pratique, d'ailleurs. L'espace au milieu est tranquille. C'est là qu'on tond les bêtes à laine, là qu'on s'entraine aux jeux de force, là que les femmes font les teintures pour les tissus.

Assez anormalement, ça n'est pas souvent à ses fils que le chef demande, au moins une fois par jour, d'aller inspecter l'ensemble des tentes, dans les six groupements, et s'assurer que tout va bien. Presque toujours, depuis la bataille où il a reçu cette balafre qui, désormais, lui fait comme une ride au front, c'est Bréa qui est messager du chef. A la tente de sa mère, il est reçu comme ne le sont pas ses frères, du moins, tant que quelqu'un d'autre que ses parents et ses frères ou soeurs se trouve là... Et c'est assez rare qu'il n'y aie personne.

Cette importance qu'on lui donne n'est pas désagréable, mais parfois, Bréa s'en passerait bien. Caille lui cherche souvent querelle pour des choses sans importance. Culantos évite de le faire, mais le surveille, le guette, à chaque occasion de, peut-être, trouver en lui une faille, un défaut, quelque chose qui ne fera pas l'admiration universelle de tout le clan. Quand il y parvient, sa joie est visible, mais silencieuse. L'oncle ne se rend pas compte de cette rivalité. Pour lui, Bréa et Culantos sont comme des frères. Il est impensable que l'un se fâche de voir l'autre être admiré plus que lui.

Quand la soeur du père de Bréa est morte, le clan s'est demandé si le chef allait vivre avec un de ses fils ou bien sous la tente d'Abona. L'oncle n'a rien fait de tout ça. Il est resté seul, sous la tente de sa défunte femme. Il a dit que les serviteurs lui suffiraient, à moins que l'un de ses fils ou de ses neveux vienne, avec sa famille, habiter sous cette tente. Culantos a essayé. Sa femme n'a pas voulu. Les allées et venues qui en ont résulté ont tant fait rire dans les tentes voisines qu'il a renoncé et que le chef est resté seul.

Mais tous les matins, lui et son frère installent avec soin le vieillard devant la tente. Après quoi, venant de la tente d'Abona, son petit bâton fièrement tenu bien ferme, Donnos le salue en passant, avec le respect dû à un grand-père plus que celui dû au chef. Ensuite, il va, et très crânement, comme un petit prince, garder les chèvres.

Quand à Bréa, ne sachant que faire ou que dire, il il ne fait rien et ne dit rien.

Neuvième épisode dans 6 semaines.

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