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La harpe du driseoc
27 février 2010

* Il était une fois (chapitre 10/15)

Texte_Brea

Lire l'épisode 9 = cliquez ICI.

 

Six hivers ont passé depuis que le chef Epocatos a quitté cette vie. Le vieux Moal prétend que le fils qui est venu ce printemps à la magicienne porte en lui l'âme du vieux chef et qu'il sera comme lui en son jeune âge un grand dresseurs de bêtes, un habile forgeron et un terrible lutteur. L'écoutent ceux qui le veulent. L'écoutent, à vrai dire, bien peu de gens. Ne l'écoute même pas Bréa, qui interdit à son fils aîné de prêter attention à ce nouveau délire du vieil homme.

Pourtant, le vieux magicien, tout le printemps et tout l'été, a insisté. Il a tant insisté, par la voix de sa femme et par celle de quelques autres vieilles du camps que, finalement, l'idée a fini par s'imposer dans le camp.

Maintenant, c'est la fin de l'été, et Culantos, hier soir, pendant que tout le clan, autour des feux de camps, se remplissait la panse de bonne chair tendre, gorgée de graisse juteuse et grillée à souhait, a réclamé des éclaireurs pour chercher de nouveaux pâturages.

Tout de suite, à cette idée, la fête a été moins joyeuse. Les dents ont mordu avec moins d'avidité dans la viande de chèvre, de lièvre et de cerf. Les barbes grisonnantes ou blanchâtres se sont mises à marmonner. Les hommes d'âge mûr ont regardé en direction de Bréa en prenant bien soin que le chef Culantos s'en rende compte. Les femmes, à l'inverse, lui ont tourné le dos et ont oublié systématiquement de lui verser à boire. Les vieilles se sont mises à raconter des histoires à l'oreille des tout-petits, et ces histoires avaient l'air de beaucoup les faire rire. Quand aux vieux, ils sont allés voir le vieux Moal. Tous. Tous, même ceux qui étaient fâchés avec lui depuis vingt ans ou plus encore.

Bréa, le lendemain, a vu, posé sur la peau où il le range, le gros bloc lisse à couleur de miel que son père garde somme un trésor. Il lui a été donné, dit-il, par son père à lui, qui l'avait acheté à des voyageurs qui venaient du côté où le soleil se couche, au temps où il était encore un tout petit enfant. Le vieux Moal est persuadé que cet énorme caillou d'ambre a été ramassé aux portes de l'Autre Monde et qu'il le protège et protègera celui qui le possèdera après lui. Sornettes, pense Bréa... Mais Moal y croit, et beaucoup, dans le camps, croient en lui.

Toute la nuit, dans la tente du vieux sage, les anciens ont discuté sans que la mère de Bréa ne laisse entrer personne. Elle avait ordonné aux serviteurs de se mettre en cercle autour de la tente et de ne laisser approcher personne, et de toute la nuit, personne ne put les faire bouger.

On continua, finalement, à dévorer les viandes rôties et parfumées d'herbes. Les femmes à l'âge de le faire se remirent à faire tinter les bijoux sonores que leurs époux ou leurs pères avaient conquis pour leur parure. Les hommes en âge de force se remirent à conter leurs exploits. Les jeunes gens se remirent à écouter les chants ou à entraîner les jeunes filles dans des danses. Et puis, petit à petit, la cervoise aidant, le clan presque tout entier se perdit dans les replis du manteau de la nuit et du sommeil.

Bientôt, ne restèrent plus éveillés que les vieux, dans la tente du vieux Moal. Les serviteurs qui la gardaient, assis tout en rond autour. Bréa, assis sur un rocher, un peu en dehors du camp, et Culantos, devant sa tente, et le regardant à travers la nuit.

Ainsi a passé la nuit, et ce matin, les anciens, l'un après l'autre, ont regagné leurs tentes. Ensuite, ils ont fait venir leurs fils et leurs petits-fils. Après quoi, les uns après les autres, les hommes du clan ont envoyé un esclave ou un de leurs plus jeunes fils dire à Culantos qu'ils ne le suivront plus sur d'autres pâturages. Certains ont demandé à revenir en arrière. D'autres à ce que ce ce soit Bréa qui choisisse les éclaireurs et aille examiner les terres repérées par eux. Aucun n'a remis en question la qualité de chef de Culantos, mais pour lui, c'est tout comme.

Les vieux sont tous d'accord, et les femmes le sont aussi. Bréa ne se sent pas le droit de refuser, d'autant qu'Abona, à sa façon à elle, lui donne conseil d'accepter ce qu'on lui demande.

Il va donc aller tirer Cheval-Soleil du troupeau, et partir avec les éclaireurs. Il pourrait aussi attendre leur retour et aller voir, selon leur indications, le lieu qui leur semble le plus propice à s'installer, et surtout, à le faire le plus longtemps possible. Il le pourrait, mais contrairement à Culantos, il tient à voir les lieux lui-même et tout de suite.

Voilà des années que Bréa n'a plus fait partie de ceux qui cherchent les nouveaux pâturages. C'est une tâche de jeune guerrier, et à présent, Bréa est un homme en âge de force, et on dit de lui qu'il atteint déjà celui de la sagesse. C'est bien tôt pour cela. L'âge de Bréa est pour la plupart des hommes du clan, celui des grandes folie de la puissance de leurs bras et de l'habileté de leurs armes. Bien peu montrent, si jeunes, la grande sagesse du fils du vieux Moal.

D'ailleurs, est-il si jeune que ça, le vainqueur du sanglier blanc ? Depuis peu, le bronze de ses cheveux se mêle de fils d'argent, et la balafre de son front semble moins profonde, enchâssée qu'elle est entre deux rides.

La fin de l'été, dans ces pâturages où le clan est depuis quelques années, est dure. Le clan y doit affronter, chaque année, un ou deux ours. Ils viennent pêcher dans les mêmes rivières que les hommes, et cherchent refuge dans les mêmes coins de rocher que les bergers quand les troupeaux sont effrayés par la pluie. Donnos, maintenant, a l'âge de chevaucher pour surveiller les troupeaux. Le vieux Moal l'a bien mis en garde: les ours sont êtres à part. Ni hommes. Ni bêtes. Ni esprits. Pour cela, il convient de faire très attention à eux, car nul ne sait ce dont ils sont vraiment capables.

Dans ces pâturages, l'hiver vient tôt et méchamment. Bréa le sait. Il sait aussi que, chaque année, Culantos choisit la vallée où le moins de gens sont installés. Chaque année, sur leur passage, ils croisent ici quelques pêcheurs, là quelques bergers, et plus loin, quelques gratte-caillou en train de construire un grenier. Parfois, les jeunes du clan estiment que l'une ou l'autre de ces rencontres vaut le pillage, mais le plus souvent, les guerriers d'âge mûr dédaignent de se préoccuper de si menue chose et s'intéressent plutôt au superbe gibier qui fourmille dans ces régions et qui est si dur et si glorieux à chasser.

Tout cela est bel est bon, mais le clan ne peut pas continuer à s'enfoncer dans des vallées hasardeuses. Les hivers sont durs, et les étés dangereux. Il faut trouver un territoire qui soit bon pour les bêtes et tranquille pour les hommes. Bréa jette un oeil aux jeunes gens qui se sont groupés autour de lui et attendent un signal de sa part. Ce sont des garçons qu'il connaît bien. Cheval-Soleil n'est plus tout jeune, mais à la première pression sur ses flancs, il s'élance.

Dans moins d'une lune, Bréa se l'est promis, le clan saura dans quelle direction il devra partir à l'approche de l'hiver.

 

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