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La harpe du driseoc
24 février 2010

* Pour une Fleur étoilée

Texte-contes-Nuit

Bien sûr, la vieille des rochers avait maudit le père Giraud et les siens, au printemps et nul n’ignorait que c’était à cause de la jolie Isane, sa petite-fille. Nul ne s’en était mêlé et surtout pas les vieux du village. Isane ressemblait trop à sa grand-mère, qui avait, en son temps, causé trop de querelles parmi les gars du village sans bien même s’en rendre compte.

Ce qui s’était passé entre les fils du père Giraud et Isane, on s’en fichait pas mal, mais pendant quelques temps, on avait accordé grande importance au fait que la vieille Louison avait maudit toute la famille… Puis les moissons étant passées sans que rien ne se soit passé, on avait commencé à oublier, et au temps de tuer le cochon, la fête à la ferme Giraud se préparait d’autant plus ardemment que le fils aîné se marierait l’été suivant et que tout cet hiver, ils serait tous les jours à courtiser sa promise. On aurait dû se souvenir, sans doute, de ce que la vieille avait hurlé sur la ferme Giraud au printemps, mais on avait oublié… Et on avait oublié d’autant plus facilement que depuis les moissons, personne n’avait eu besoin des soins de la vieille rebouteuse et que sa petite-fille avait cessé de descendre au village.

En fait, non seulement, elle évitait le village, mais elle s’écartait sans doute de la bergerie quand quelqu’un y montait chercher sa grand-mère car même quand les chèvres y étaient, elle ne s’y trouvait pas, et pourtant, dans la cabane, on voyait deux bols près du pot. Elle était donc là.

Au cours de l’automne, les bergers qui passaient là-haut avaient dit avoir vu une tombe près de la maison des rochers. Quelques curieux avaient essayé d’y aller voir, mais aucun n’avait vu ni la vieille, ni Isane, alors on avait beaucoup causé, d’abord, et puis plus du tout.

Le temps de tuer le cochon était venu et on avait peut-être un peu vite oublié les glapissements de la vieille Louison… Un peu vite, oui, car après tout, on avait jamais oublié ce qui était arrivé quand elle avait quinze ans et que, comme maintenant Isane, elle avait plus d’amoureux qu’elle ne l’aurait voulu.

C’était un peu différent, quand même… Car Louison, si elle n’était pas riche, n’était pas non plus petite-fille de la rebouteuse. Elle avait donc des prétendants et elle en avait même beaucoup trop puisque pour les départager, elle avait eu le caprice de vouloir, pour orner ses cheveux à la fête du village, des fleurs cueillies au plus haut des cimes.

Quelques intrépides s’étaient mis en route. Beaucoup avaient renoncé. Certains n’étaient pas revenus. Deux avaient ramené quelques pauvres petites choses déjà fanées. Un beau manouvrier roux qui n’avait pour fortune que ses bras, ses dents blanches et son flutiau avait ramené une couronne entière de petites fleurs argentées en forme d’étoile. Sa victoire était beaucoup trop nette pour qu’on aille lui refuser le droit d’épouser la Louison, la plus belle fille du village, mais on avait rechigné à lui offrir du travail au printemps, et il avait dû aller louer ses bras un peu plus loin, laissant sa femme dans la cabane de berger qu’elle avait eue en dot et lui promettant de revenir à l’automne… Mais cette année-là, l’hiver était venu si tôt, et si rude ! La pauvre Louison s’était trouvée seule avec un gros poupon roux et bien vite, des médisances qui se faisaient à voir les gars la suivre sitôt qu’elle s’éloignait du village.

Puis les années avaient passées et, sa beauté s’envolant, les ragots avaient été d’un autre ordre. Ne vivait-elle pas trop isolée ? Le père de son fils, cet étranger, n’était-il pas trop roux, trop habile et trop rusé ? N’était-elle pas trop habile à soigner toutes sortes de blessures et de maladies ?

Jeune homme, le fils du manouvrier s’était fait colporteur. On avait vu les chèvres de la vieille bergerie de plus en plus belles, la Louison de mieux en mieux vêtue, et quand il avait agrandi sa maison, le colporteur avait eu réputation au village, d’un homme riche, mais il n’avait pas tenté de s’y marier et on l’avait un jour vu revenir accompagné d’une étrangère qu’il avait installé chez sa mère. On lui en avait voulu de cela, et quand elle était morte de la naissance d’Isane, personne n’avait pensé à avoir pitié d’eux. On lui en avait voulu aussi, de continuer à vivre dans la montagne et plus encore d’avoir un troupeau dans la vallée voisine.

Et puis, on en voulait trop, encore, à la Louison, de ce qu’elle avait été autrefois et on en voulait trop à Isane de lui ressembler autant.

Alors, ce soir-là, dans le grand silence qui s’était fait après que le cochon aie crié, chacun regardait l’homme roux qui avançait en faisant sonnet des clochettes liées aux deux bouts d’une baguette qu’il tenait dans sa main gauche. Normalement, la fête aurait dû commencer vraiment, puisque le cochon était abattu et prêt à être pendu par les pieds au-dessus du baquet, mais… Il y avait cet homme.

Cet homme que tout le monde connaissait, puisque c’était le père d’Isane, mais qui ressemblait tellement à un autre, que seuls les vieux avaient connus : le manouvrier de la Louison.

Et puis, cet homme avait quelque chose d’effrayant, à secouer ainsi ses grelots sans rien dire, ni desserrer les lèvres.

Benoît, l’aîné des fils Giraud, sentant qu’il fallait faire quelque chose, avança d’un pas. L’homme le regarda si durement qu’il recula aussitôt.

On entendait des bêlements depuis un moment et son frère, Xavier, regardait quelque chose dans le noir. Benoit suivit son regard mais sans rien voir, d’abord, ce qui ne le surprit pas, car son frère avait réputation de voir la nuit aussi bien qu’un hibou, puis, au bout d’un moment, Isane entra dans la grange et chacun put voir le ventre arrondi sous la robe et le châle dont elle s’entourait.

Le colporteur s’approcha de Benoît en faisant sonner les deux grelots de plus en plus vite. Il tomba.

Sans doute allait-il faire de même avec Xavier, car il s’était tourné vers lui, mais le père Giraud avait pris les devant et s’était placé devant lui.

-« Celui-là n’a pas de promise. Je te demande Isane.

-Les riches fermiers de ce village n’ont que faire des gens comme moi et ma fille.

-Laisse au moins mon fils se défendre. »

L’homme réfléchissait quand une voix claire comme celle des clochettes se fit entendre.

-« Je veux une fleur du haut des cimes. Laisse-le essayer d’aller la chercher. »

Giraud regarda Xavier, déjà un peu soulagé. On disait au village que ce grand garçon souple et prudent était dans les rochers plus habile qu’une chèvre. Si quelqu’un avait des chances de réussir telle épreuve, c’était bien lui.

Rangeant les clochettes dans sa ceinture, le colporteur entraînait sa fille.

-« Avant que l’enfant soit né, ma fille doit avoir eu ce qu’elle demande ! »

Et puis, s’il ne réussissait pas, qui donc tiendrait la ferme, après lui ? La plus belle du village ? Il devait réussir ! Le colporteur ayant posé ses clochettes, Giraud osa, un bref instant, les soulever et fut frappé par leur poids. Ses yeux se portèrent alors sur les bons souliers de beau cuir du colporteur et de sa fille, puis sur sa boucle de ceinture brillante et son gros couteau de chasse à poignée travaillée, et sur le collier caché dans le châle d’Isane… Tout ça avait belle allure et on pouvait parier que la dot de la belle Isane était bien plus belle que celle, autrefois, de la Louison.

*

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Commentaires
S
Un recueil est en cours de préparation...<br /> Mais comme je veux l'illustrer, ça n'ira pas vite !<br /> <br /> Merci d'avoir aimé, et merci pour le comm'... <br /> :-)
P
Je suis furieusement jalouse ! c'est très bien écrit ! Tu devrais publier ! J'ai beaucoup aimé l'ambiance du récit, j'y étais !
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