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La harpe du driseoc
30 juin 2010

* Les métamorphoses de Lüvarh (2/2)

 

Miglia ne ressortit pas. Elle avait, en partant, confié l'épée à Luvarh, alors il l'avait gardée.

Vint un le temps où il eut à nouveau cette sensation d'étouffement et à son tour, il fut reconduit dans la cité. Il en profita pour bien regarder autour de lui, cette foule active et joyeuse, toujours pressée et riante, s'agitant dans un ordre parfait. Les superbes murailles de cristal l'intrigaient, aussi, car si différente de ce que la forêt, aux alentour, lui montrait. Pourtant c'était vers la masse de cristal sombre de la grande tour qu'il concentrait tous ses sens. Il ne savait pas pourquoi mais quelque chose l'y attirait.

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Pourtant, il le savait bien, nul ne pouvait entrer dans la grande tour, sinon les serviteurs personnels de la reine, et il n'en était pas un.

Dire que sa métamorphose fut une surprise serait faux. Dire qu'il n'en fut pas étonné le serait tout autant. Il réalisa que le changement, en apparence minime, qu'il avait constaté chez les autres était en fait colossal. Son apparence extérieure n'avait presque pas changé, mais tout son être intérieur s'était transformé radicalement. Il lui semblait, à présent, dévorer la lumière et recracher de la chaleur. Plus étonnant encore : quand il approchait la main du bras d'un jeune guerrier blessé lors d'un entrainement, la plaie se refermait aussitôt. Seules les plaies magiques, lui avait expliqué le vieux Oovah, peuvent résister à cette force. Encore cela dépend-il de la puissance de l'arme et de celle du guérisseur.

Dès lors, Luvarh avait été autorisé à participer aux expéditions de chasse hors de la cité. Il avait su aussi qu'en cas de conflit avec les gobelins, les trolls, les nains ou toute autre espèce, il serait au nombre des combattants. Il avait été fier de ça, et comme il était habile à l'arc et à l'épée, comme il était hardi mais sage, comme ses dons de magie étaient puissant, on avait fait de lui un chef pour les autres guerriers de la citadelle. Un petit chef, d'abord. Et puis un plus grand. Et puis plus grand encore.

Centaine de cycles de saisons après centaine de cycles de saisons, Luvarh était devenu l'un des premiers parmi ceux qui commandent aux guerriers de la citadelle de cristal, mais très rarement il était autorisé à y entrer. Sa place était dans le cercle des faubourgs-remparts, cette impénétrable enceinte à laquelle, aujourd'hui encore, les nains et leurs alliés viennent de se briser les dents.

Mais aujourd'hui, Oovah est mort.

C'est grave...

C'est très grave parce que la cité a perdu beaucoup de guerriers, surtout des jeunes, et que Oovah était le dernier des princes de la cité. Il y en avait trois, encore, au temps de la naissance de Luvarh, mais les princes, de par leur fonction de prince, ne sont guère utile bien souvent et les deux autres n'ont pas réussi, dans leurs fonctions respectives (un éveilleur et un gardien des greniers) à survivre aussi longtemps qu'Oovah. L'un a été tué par un garde avec lequel il se querellait parce qu'il l'empêchait de sortir. L'autre a été écrasé sous des sacs de cristaux. Quand à Oovah, il était vieux et fatigué, et il n'était plus guère visible qu'il était différent qu'à la brillance plus forte de sa peau et à ces petites bosses dans son dos, qui avaient été autrefois des ailes. Pourquoi, lui, avait-il des ailes ? C'est sans intérêt... Et de toutes façons elles se sont déchirées il y a bien longtemps.

Luvarh se sent très lourd, très fatigué. Est-ce que c'est la mort du vieux général qui lui fait ça, ou bien est-ce que c'est le sang qui coule de ses blessures qui l'affaiblit ? D'ailleurs, elles auraient déjà dû se refermer, ses blessures... Mais c'est sans importance. Luvarh est fatigué. Il cherche autour de lui un endroit calme, pour se reposer loin de l'agitation frénétique de cette cité qui, déjà, s'affaire à redevenir belle et parfaite. Il se laisse tirer délicatement par la main vers un couloir. Ses yeux emportent du dehors l'image de la tour sombre, qui miroite de tous ses cristaux, merveilleuse mosaïque de pierres sombres et pourtant lumineuses. Il ne verra jamais l'intérieur de la tour, et ne contemplera même jamais de près les facettes noires, bleues, vertes, rouges, autour de laquelle volettent les servantes de la reine et les guerrières attachées à son service, tandis que lui rampe sur le sol blanc du secteur des remparts.

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Une fois encore, on l'a conduit dans la salle sombre à l'odeur sucrée, et il s'en remplit la poitrine. Il n'est pas venu se transformer encore une fois, il en est sûr. Quelle transformation pourrait-il encore accomplir ? Il est déjà tout ce qu'un elfe peut être de plus puissant. Peu importe... Il est fatigué. Il ne veut penser à rien. Il veut juste dormir, se reposer loin de l'agitation de la cité trop joyeuse et trop active, où chacun est toujours trop bien à ce qu'il doit faire. Il a envie de rêver aux frondaisons où se mêlent lumière et pénombre, dans l'odeur des fleurs en train d'éclore et celle des feuillages pourrissants. Il a envie de revivre ce jour où en venant à l'appel d'un groupe de cueilleurs de lotus, il a trouvé dans un étang deux trollillons terrorisés. Oovah avait été réticent à laisser Luvarh les reconduire à leur village, mais finalement, c'est grâce à ça qu'aujourd'hui, les trolls ont prêté main-forte à la citadelle des elfes. Luvarh n'a plus envie de penser.

Oovah était un sage, mais il n'avais pas la joie de vivre qui caractérise les gens de la cité. Il prévoyait trop de choses, sans doute.

Une main le tire un peu. Délicatement. Avec un frisson qui ressemble à de la crainte, mais Luvarh sent que ça n'en est pas. Il regarde ce qu'on lui montre.

Dans la salle, s'élèvent cinq cellules immenses. On pourrait sûrement mettre dans chacune d'elles trois ou quatre elfes adultes et bien constitués. Mais Luvarh a déjà compris que chacune d'entre elles n'est destinée qu'à une seule personne.

Distraitement, il regarde passer deux charriots sur lesquels on pousse ceux qui n'ont pas survécu à leur métamorphose et ne deviendront jamais des elfes. Ils vont être mis à poussière et placés sous les jardins intérieurs ou extérieurs de la cité.

Lui compris, ils sont cinq dans la salle, à qui on retire leur équipement. Ceux-là accessoires à combattre, ceux-là accessoires à écrire. Ils ont déjà tous compris, et sans attendre qu'on les y mène, ils vont s'allonger dans les grandes bulles étincelantes. Aucun ne sait bien ce qu'il va lui arriver, ni ce que sera sa vie après la métamorphose. Ils s'endorment.

Au-dessus d'eux, dans la tour noire, la reine Miglia s'enquiert auprès de ses ministres du temps dont la cité a besoin pour disposer à nouveau d'une armée capable de la défendre et de l'importance des risques d'une nouvelle attaque naine avant ce délai.

Au-dessus d'eux, Miglia évalue, pense, réfléchit, assise dans sa pesante rondeur qui remplit d'autant plus la salle que ses servante, depuis hier, la gavent pour favoriser une ponte intensive.

En contrebas, la cité vrombit, bruisse de toute ses ailes, chante de tous ses pieds frappant le sol, ignorante des périls qui la menacent encore.

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Ce texte, un peu long, est découpé pour le blog en deux parties.

Il ne s'agit pas de chapitres.

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