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La harpe du driseoc
10 avril 2010

* Il était une fois (chapitre 11/15)

Texte_Brea

 

Au début de l'été, encore couvert du sang du loup qu'il venait d'embrocher, Robios, fils d'Aestos, fils du chef Culantos, a jeté aux pieds de Uindia, un jeune lièvre qu'il a tué au début de la journée de chasse. Il n'a même pas arrêté son cheval. Il est passé au galop devant la tente. Uindia, qui était assise avec un grand bol sur les genoux pour préparer une bouillie d'orge et de glands.

Abona a vu sa fille cacher le lièvre, et elle a fait un mouvement pour le dissimuler à Bréa et à Donnos. Trop tard. Ils ont vu tous les deux. Bréa n'a pas cillé. Donnos a serré le poing sur le bâton qu'il tenait en main, parce qu'il venait d'en enseigner le maniement à son petit frère.

Cela fait trois ans, maintenant, que le clan a suivi Bréa pour la première fois. La première année, il n'est resté en place qu'un an, et Culantos et ses fils ont triomphé, heureux de pouvoir dire que le pâturage qu'il avait choisi n'était pas meilleur que les leurs. La deuxième année, ils sont restés, et c'est sur cette même terre qu'ils étaient encore, et qu'ils allaient encore rester une année de plus.

Ils ne resteraient pas plus longtemps, sans doute, car malgré tout, Bréa sentait que l'herbe devenait moins bonne, mais il comptait bien envoyer les éclaireurs dès le printemps, cette fois, afin d'avoir exploré plus de terres et de mieux savoir où il est bon d'aller.

L'hiver dernier, Cheval-Soleil a fait une chute dans un ravin. Les gardiens du troupeau qui l'ont découvert ont longuement hésité à annoncé la chose à Bréa, mais contre toute attente, il n'a pas semblé avoir de réaction. Il est resté impassible et puis, il est rentré dans sa tente. Après quoi, on l'a vu accomplir toutes ses activités de la journée sans aucune différence avec un autre jour, et finalement, aller à la tente de sa mère pour saluer son père et s'instruire auprès de lui des secrets de l'Invisible.

Une chose, pourtant, marqua ce jour-là, car dans la nuit qui suivit, et qui fut fort froide, l'épouse du sage Moal quitta le monde Visible. Sa tente et grande quantité de ce qui lui appartenait l'y accompagnèrent. Le vieux sage, sans attendre, et s'appuyant sur l'épaule de son petit-fils Ogma, alla s'asseoir sous la tente de celui de ses fils qui était maintenant presque un deuxième chef.

Entre Donnos et ses amis, d'une part, et les fils de Culantos d'autre part, le lapereau jeté à Uindia a déclenché une guerre ouverte. Les bagarres sont fréquentes dans le camp. Les anciens s'en inquiètent et vont de Bréa à Culantos et de Culantos à Bréa en s'efforçant de les convaincre de calmer les ardeurs de leurs rejetons respectifs.

Un peu partout dans le camp, on murmure. Des gens parlent de chasser les fils de Culantos, et peut-être Culantos lui-même, s'il tente de l'empêcher. Le magicien Bréa, sa femme et son père sont trop précieux pour qu'on prenne le risque de les offenser. Un peu partout dans le camp, aussi, on s'inquiète de ces rumeurs et de ces murmures.

Alors bien sûr, tout le monde, quand le vieux Moal a envoyé le petit Ogma, accompagné de quatre serviteurs, chercher Culantos, ses fils et son petit-fils Robios, a été aux aguets. Tout le monde aurait voulu savoir ce qu'ils allaient se dire. Mais Moal n'a pas admis que qui que ce soit vienne écouter, et il a ordonné à Bréa de faire disposer autour de la tente des serviteurs et des hommes en armes, les choisissant parmi ses plus ardents partisans mais aussi parmi les derniers encore vraiment attachés à son cousin.

Culantos est fils d'un très grand maître en la magie du feu, mais il est bien moins habile que lui en cet art. Il est plus à son aise à mener les grandes chasses et à manier les armes. Nul n'est aussi rapide que lui, ni aussi efficace, à déterminer les branches et les rocs qu'il faut employer pour fortifier les alentour du campement. Nul ne sait reconnaître aussi bien que lui le jeune homme qui sera meilleur à l'arc de celui qui sera meilleur à la pique.

Pour cela, et malgré les grondements dans le camp, qui se font de plus en plus forts, Bréa n'a aucune envie de le chasser de sa place de chef, et encore moins du clan. Moal, voilà assez peu de temps, n'était guère favorable à Culantos. Ce n'est pas par amitié qu'il incline à donner Unidia à Robios. Bréa, pour sa part, se souvient de sa rencontre avec Abona, et se dit que si les esprits ont voulu que ça soit ainsi, il n'a pas à le refuser. Culantos grogne beaucoup, prétendant que la fille ne lui convient pas, mais il a la mine de celui qui ne peut pas refuser. Donnos, au contraire, est dans une rage folle et qu'il contient mal. Son regard passe de son père à son grand-père et ne trouve pas où s'accrocher.

Finalement, l'accord est conclu. Le premier, et soutenu, comme à son habitude, par Ogma, le vieux Moal sort de la tente pour annoncer la nouvelle.

Il y a d'abord, dans le camp, des murmures. Beaucoup sont contrariés et ne comprennent pas. Puis, à l'idée de la fête qui se prépare, un flot de joie prend le dessus et bientôt, c'est un vacarme assourdissant.

En même temps que Robios prendra pour épouse la fille ainée du sage Bréa, Donnos se verra promettre une des petites-filles du chef Culantos.

Bréa, du coin de l'oeil, guette son père, que Ogma aide à s'asseoir à la place d'honneur. Le vieux renard a dans l'oeil une lueur qu'il n'a jamais que quand quelque chose qu'il a longuement préparé, espéré et mûri vient enfin de prendre forme. Voilà longtemps, déjà, que plus personne dans le camp ne dit de Moal qu'il est un vieux fou, mais personne, sinon son fils, Abona et Ogma, ne sait deviner ce que cache la lueur sous ses sourcils épais.

Le vieux Moal sourit dans sa barbe. Il a l'air satisfait, tranquille, comme si toute sa vie, il n'avait attendu que cet instant-là. Il regarde les jeunes gens qui s'agitent devant lui, et ses yeux plissés brillent très fort entre ses paupières, avant de se fermer.

Quand Bréa s'avise enfin de donner ordre qu'on ramène à la tente son père et son plus jeune fils, il est déjà tard et plus personne ne se soucie d'autre chose que de la fête.

 

*

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